par | Mai 23, 2023 | A la une, Talks

Nacera – Talks #4 – Qu’est-ce que le break ?

Backstage interview photo. Par Sebastián Esguerra.

Nacera est une réelle activiste. Présente dans le milieu du breaking et du Hip-hop français depuis plus de 30 ans, elle a traversé les générations en gardant une prestance et un charisme reconnu de tous. A l’origine de l’historique événement Just 4 Rockers, elle revient sur sa définition de la danse, du Hip-hop de la vie.

Pour cet article, nous lui avons donc demandé ce qu’est le break ? Quel en est sa définition ?

Partie 1 : Le break est un personnage.

“Le break est un personnage qui t’accompagne et t’aide à te découvrir tout au long de l’apprentissage et de la pratique. C’est un outil qui t’aide à t’explorer toi-même à travers les relations que tu mènes avec les autres. C’est quelque chose que tu ne peux vivre seul, la question de partage, de communauté est centrale. Ce n’est pas étonnant que ce mot, communauté, traverse les âges malgré le fait que les tendances changent.

On a tendance à définir le break et la communauté Hip-hop avec leur motto : Peace, Love, Unity and Having Fun, mais en réalité, la manière dont on évolue dans le break nous fait vivre autant de choses positives que de choses négatives – pour nous permettre d’apprendre. Le fait d’être confronté aux modes de fonctionnement des autres, qui vivent et partagent avec nous le même art, nous permet de nous positionner inconsciemment et de nous forger un avis personnel sur un ensemble de sujets sociétaux et de valeurs : l’égo, l’honnêteté, la loyauté, le partage, notre façon d’agir face à l’injustice etc. C’est une philosophie dans laquelle on va s’identifier qui va nous définir et que l’on va peaufiner en fonction de nos expériences, rencontres, pour donner une version de nous-même, notre identité. C’est notre identité ensuite qui va définir comment on souhaite s’investir dans ce milieu-là, pour notre art ; si par exemple on souhaite le consommer ou le faire grandir ; si on souhaite être acteur, suiveur ou leader.

On a aussi tendance à penser qu’on est une communauté qui arrive à s’affranchir de la société et rester marginale. C’est vrai qu’on a nos règles, mais je ne pense pas pour autant qu’on ait vraiment une immense liberté dans notre art. C’est quelque chose que l’on vit en communauté, on a juste une manière différente d’appréhender la société, avec nos codes. Les valeurs que je vois chez les bboys et bgirls en fonction des générations restent étroitement liées à la société actuelle, tout comme le mode de consommation du break et de la culture : individualisme, uniformisation des choses et des pensées, ultra commercialisation et consommation règnent aujourd’hui. Les revendications ont changé, le « pourquoi » on est dans cette culture aussi.

Je ne pense pas que ma définition et ma manière de vivre le break soient représentatifs d’une époque particulière. Seulement, j’ai un idéal de société et de communauté, donc je reste fidèle et intransigeante sur certaines valeurs. En plus de 30 ans de présence active dans ce milieu, j’ai pu observer que les valeurs qui lient la communauté ne changent pas fondamentalement, elles se traduisent juste différemment. La vérité c’est qu’entre aujourd’hui et il y a 30 ans, rien ne nous sépare. Nous cherchons tous la même chose : être respecté, s’amuser, danser, et avant tout, on cherche du sens à ce que l’on fait. Nous sommes les mêmes générations, juste dans des contextes différents qui nous influencent. Vouloir surconsommer la culture, les mouvements, vouloir être invité, suivi etc. traduit une certaine souffrance, un manque de sens à mon goût. Le génie et le talent est banalisé et semble être accessible à tous, or il n’est pas donné à tout le monde. On a pas tous la possibilité de le voir. Du coup, aujourd’hui le banal est plébicité.” 

Backstage interview photo. Par Sebastián Esguerra.

“Nous cherchons tous la même chose : être respecté, s’amuser, danser, et avant tout, on cherche du sens à ce que l’on fait.”

Partie 2 : Le break comme mémoire.

“C’est un art, c’est un lifestyle, c’est quelque chose que l’on ne peut désolidariser de son socle. On ne peut définir le break sans avoir une appréciation globale du Hip-hop. Ce n’est pas un problème si les choses se popularisent et se spécialisent à partir du moment où chacun sait d’où cela vient, et quelles valeurs il doit porter.

Je suis d’origine algérienne. Dans nos familles, on aime bien notre drapeau, on nous explique très jeunes d’où l’on vient, ce qu’il y a dans notre pays, on nous parle beaucoup d’héritage, de culture. On nous explique aussi ce qu’il s’y est passé etc. Donc très jeune j’ai été sensibilisée à la politique, à la notion d’appartenance etc.
Lorsqu’on est dans le break, dans le Hip-hop, que l’on embrasse une culture qui n’est pas la nôtre de base, qui vient d’un endroit qui n’est pas chez nous, la moindre des choses c’est d’essayer de comprendre qui sont les gens qui ont créé ce mouvement, et qu’est-ce qui nous donne l’impression d’avoir un lien avec tout cela. Le Hip-hop à accueilli tout le monde, toutes les personnes que tout oppose, alors qu’est-ce qui fait que cette énergie nous parle à tous ?
Si moi aujourd’hui je juge, je danse, je voyage, c’est parce que des gens qui ont sacrifié beaucoup ont inventé quelque chose de beaucoup plus profond que simplement être jury, être invité pour danser. Et c’est sur cela qu’il faut s’interroger, sur le sens de tout ça. Ce qui compte n’est pas la notoriété ou la popularité mais l’art lui-même.”

Partie 3 : Le break, c’est les footworks.

“Au-delà de cette vision philosophie, de manière beaucoup plus terre-à-terre, qu’est-ce que le break ? Ce sont les footworks. C’est le rapport à la musique, la fête, l’esthétique. Dans quel milieu les bboys et les bgirls se retrouvent entre amoureux de la culture pour créer et évoluer ? Le break s’épanoui et se créé dans les jams, c’est là qu’il est le plus spontané. Le break c’est une danse, une attitude, une façon d’exprimer son esprit dans un mouvement. C’est une danse infinie.
Le break c’est une manière de se tenir, de se mouvoir et de se revendiquer.”